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Quand avons-nous oublié?

Auteur(e)s : Julie Moffet

Quand avons-nous oublié?

Note : cet article reflète l’opinion de son auteur et non celle de la Fondation Monique-Fitz-Back.

Pourquoi faire la classe dehors? La question qui tue

Au courant des dernières semaines, j’ai été sollicité par plusieurs médias pour parler d’éducation en plein air. Ce sont souvent les mêmes questions. Pouvez-vous nous expliquer les bénéfices des classes extérieures? Pourquoi faire la classe dehors? Que peut-on y enseigner? Et je me lance dans ma récitation, une énumération que je connais presque par cœur désormais, en sachant que je ne pourrai que toucher à la surface des choses car j’ai environ 15 secondes par question pour être claire, convaincante et éloquente…

Je sors parfois un peu déçue de ces entrevues. De ne pas avoir pu expliquer tous les aspects de l’éducation en plein air, donné plus d’exemples, avoir été plus inspirante… Au moins, je me dis, on en aura parlé. Mais dans les derniers jours, ces questions sur les bienfaits et le pourquoi de l’enseignement extérieur ont fait ressurgir en moi un étrange sentiment. Elles ne me surprenaient pas, mais je me suis rendue compte qu’elles me frustraient un peu, après coup. Je me suis demandée pourquoi.

La réponse n’a pas tardé à surgir. Je pense que ce qui me fait réagir ainsi, c’est la manière dont ces questions braquent les projecteurs sur le long chemin que l’on a à parcourir comme société pour voir l’éducation différemment.

Quels bénéfices à enseigner dehors? Je me suis demandée… Mais quand avons-nous oublié?

Quand avons-nous oublié que la meilleure façon d’apprendre pour les enfants n’était pas assis entre quatre murs toute la journée?

Quand avons-nous oublié que la Nature est aussi une salle de classe et l’une de nos enseignantes les plus expérimentées, créatives, patientes et inspirantes?

Quand avons-nous oublié que les savoirs les plus riches et signifiants ne se trouvent pas dans les manuels scolaires, les ordinateurs ou les tablettes… mais dans nos relations et notre connexion avec les autres, avec notre culture et avec notre milieu? Les savoirs se trouvent également dans les arbres, dans les fleurs, dans les roches, dans les abeilles, dans les poissons, dans les histoires des aînés, dans les noms de nos rues, dans l’histoire des statues ou encore de l’architecture de nos villes…

Quand avons-nous oublié que nous tous, mais particulièrement les jeunes, avons besoin d’être en contact avec la Nature pour se développer, s’épanouir et apprendre, et qu’en échange nous devons apprendre à écouter la Nature? C’est seulement ainsi que nous pourrons la protéger véritablement, non pas comme des sauveurs mais comme des alliés.

Quand avons-nous oublié que le meilleur engrais pour l’apprentissage est le plaisir et que les enfants ne jouent pas pour apprendre mais qu’ils apprennent parce qu’ils jouent?

Quand avons-nous oublié que de prioriser le bien-être et la santé des élèves et des enseignants, c’est aussi de prioriser la réussite éducative, et que ce bien-être se trouve aussi dans la Nature et la communauté? Que la communauté tout entière est aussi responsable du bien-être, de la santé et de la réussite éducative de ses jeunes?

Quand avons-nous oublié l’importance vitale en éducation d’offrir des expériences authentiques, concrètes, stimulant la curiosité, l’engagement et l’émerveillement, et que beaucoup de ces expériences se trouvent hors les murs?

Quand avons-nous oublié l’importance d’ancrer, historiquement, socialement et culturellement les apprentissages afin de leur donner du sens, et que ce sens ne se trouve pas uniquement à l’intérieur?

Quand avons-nous oublié l’importance des savoirs locaux, qui permettront aux élèves de s’adapter, de s’ancrer et de jouir de leur milieu?

Quand avons-nous perdu confiance en la capacité des enfants d’être curieux, en leur soif d’apprendre, en leur désir de s’entraider, si bien qu’on a rendu dominante une approche où les apprentissages se font à la chaîne entre quatre murs?

Quand est-ce qu’on a tellement institutionnalisé et industrialisé notre façon de transmettre les savoirs, qu’il devient difficile pour bien de gens de saisir la pertinence de faire la classe à l’extérieur?

Notre plus vieille enseignante

Après avoir lu Last child in the woods (Richard Louv), en 2014, j’étais abasourdie, émerveillée et pleine d’espoir. Cette lecture a marqué le début de mon engagement pour la lutte au déficit nature et de mon implication dans le mouvement d’éducation en plein air. Je réalise aujourd’hui qu’une partie de cette détermination qui m’habite encore aujourd’hui carburait sur une indignation dont j’avais peu conscience. Car après cette lecture, j’ai probablement ressenti que moi aussi, j’avais oublié. Et j’étais triste qu’on ait oublié, collectivement.

Les Premières Nations elles, ne me semblent pas avoir oublié. Je le vois et le comprend désormais quand elles évoquent la Nature comme première famille, première salle de classe. Elles m’ont rappelé que la Nature était en soi une enseignante, car elle est là depuis bien plus longtemps que les humains, et qu’il faut se tourner vers des professeurs expérimentés quand on veut améliorer nos manières de vivre. Je pense qu’on a beaucoup à parler, à apprendre et à échanger sur l’éducation en plein air avec les Premières Nations.

Une classe a t-elle toujours besoin d’un toit?

Ce printemps-ci, je le sens différents des autres printemps. À cause bien sûr de la crise sanitaire, mais aussi parce qu’il semble y avoir une sorte de réveil. On se souvient que la classe ne s’arrête pas aux murs. De très nombreux enseignantes et enseignants font actuellement leurs premiers pas en éducation en plein air, poussés par le besoin d’espace, le besoin de liberté, le besoin de profiter de la Nature pour prioriser le bien-être et la santé de leurs élèves et d’eux-même. Je ne pense pas qu’ils arrêteront, après cette pandémie.

À la question Pourquoi enseigner dehors? j’aurais maintenant envie de répondre Pourquoi enseigner en dedans? L’intérieur offre des avantages, mais aussi des inconvénients. En fait, il ne devrait pas y avoir de compétition entre l’éducation en dedans et l’éducation en dehors. Aucun des deux n’a le monopole des savoirs, ils offrent simplement des contextes d’apprentissages différents et ont chacun leurs forces et leurs faiblesses. Ce sont des cadres différents offrant des expériences différentes.

L’intérieur favorise davantage les expériences encadrées et structurées. L’extérieur favorise davantage l’expérimentation et la prise d’initiatives. Il faut réapprendre à voir et à saisir les opportunités pédagogiques qu’offrent nos milieux (la Nature et la communauté), si riches en expériences concrètes et stimulantes pour les jeunes. Car la salle de classe extérieure permet d’ancrer naturellement les apprentissages dans leur contexte social, historique, écologique, politique, culturel… Elle brise l’aliénation entre les savoirs locaux et les savoirs ‘scolaires’. Contrairement à la salle de classe intérieure, la salle de classe extérieure change constamment, et cette part d’incertitude fait aussi partie de sa beauté: la classe extérieure ramène l’aventure en éducation. Et on se souvient longtemps de nos aventures, moins de nos leçons.

Et si on rêvait…

Mon rêve est le suivant : qu’il devienne normal, dans dix ans, de sortir faire la classe dehors, que ce soit très souvent ou à l’occasion. Qu’on reconnaisse l’importance du contact avec la Nature et avec la communauté pour le bien-être, la santé et la réussite éducative des élèves. Que l’aménagement d’une classe extérieure, d’un jardin ou d’une sortie en plein air ne fasse plus la une des journaux. Que les classes extérieures représentent dans nos esprits non pas uniquement un lieu de rassemblement pour s’y asseoir, mais tout le milieu extérieur, qui regorge d’opportunités d’apprentissages.

Mon rêve est qu’au quotidien, on puisse voir des élèves prendre des marches dans le quartier, faire de la raquette dans les sentiers, tester le PH de l’eau des rivières, écrire et lire à l’ombre des arbres, jouer aux princesses et chevaliers avec des branches, dessiner les détails d’un édifice patrimonial, semer des légumes avec les aînés du quartier, installer des nichoirs pour aider une espèce menacée, débattre avec un élu sur un enjeu local, identifier des traces d’animaux dans la neige, écrire des mots inspirants sur les trottoirs, mesurer l’eau de pluie tombée dans la cour, cueillir des plantes autrefois appelées mauvaises herbes pour en faire des tisanes, photographier les mousses et lichens qui se cachent dans tous les recoins, élaborer des idées pour améliorer la sécurité d’un passage piétonnier… Je rêve de tout ça et j’imagine tout ce qui pourrait être rêvé, car les possibilités sont si nombreuses.

Je rêve qu’on ne me demande plus d’expliquer à quoi bon enseigner dehors car on le sait, profondément et collectivement. On se demandera plutôt Comment pourrais-je aider l’école dans ses projets et activités? Comment l’école pourrait-elle devenir une ressource pour notre milieu? Car l’éducation en plein air, c’est se tourner vers la Nature mais aussi vers les autres.

Les rêves sont puissants. Ils sont le socle du changement. J’ai hâte de voir jusqu’où nous pourrons rêver.

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