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L’orthopédagogie en plein air : Entrevue avec Stéphanie Bergeron

Auteur(e)s : Entrevue avec Stéphanie Bergeron (orthopédagogue) réalisée par la Fondation Monique-Fitz-Back

L’orthopédagogie en plein air : Entrevue avec Stéphanie Bergeron

Photo: Stéphanie Bergeron
Photo: Stéphanie Bergeron

L’orthopédagogie à ciel ouvert

Dans cet article, nous plongerons dans le monde passionnant de l’orthopédagogie en plein air à travers le témoignage de Stéphanie Bergeron une orthopédagogue qui intègre désormais la pédagogie nature au cœur de sa pratique.

Ayant une expérience riche et diversifiée, Stéphanie compte 23 années d’expérience dans le domaine de l’enseignement. Elle a occupé plusieurs postes dont celui d’enseignante au préscolaire et au primaire, d’orthopédagogue et de conseillère pédagogique pour les élèves de 4 ans et leurs parents.  

 

Quelles sont les principales raisons qui vous ont amené à choisir l’environnement extérieur comme cadre d’intervention?

Photo : Stéphanie Bergeron

Je crois qu’il s’agit d’un retour à la source. J’ai passé énormément de temps dehors en nature dans mon enfance.  Je passe encore beaucoup de temps en nature dans mes loisirs et avec ma famille. Je dirais que l’arrivée de la Covid m’a amenée à faire des prises de conscience. Je me suis mise à étouffer dans mon petit bureau avec toutes les contraintes reliées aux mesures sanitaires. Lorsque je revenais chez moi, je prenais un temps pour respirer le grand air. Et un soir, il y a eu un déclic. Près de la forêt, un renard est venu m’observer. Nous avons eu un contact visuel intense. Il est ensuite reparti avec une légèreté enviable. C’est là que je me suis dit que c’était dehors que je devais intervenir avec mes élèves.

Pourriez-vous nous décrire votre projet et votre approche?

Photo : Stéphanie Bergeron

Étant une personne créative, j’avais trop d’idées par rapport à ce qu’il m’était possible de faire dans le cadre scolaire actuel. J’avais besoin de temps pour penser, créer et expérimenter. Pour être en cohérence avec les principes de l’éducation par la nature, je me devais de laisser émerger mes idées par l’exploration, de découvrir la biodiversité autour de moi, de vivre des interactions de qualité avec mes élèves et de le faire selon une autre vision du temps. J’ai donc pris une année de congé du système scolaire pour préparer et expérimenter mon projet.

L’essence de mon projet, c’est d’exercer mon travail d’orthopédagogue dans un contexte de plein air afin de permettre aux élèves d’apprendre dans l’action, de vivre des expériences sensorielles significatives et de se connecter à eux-mêmes. Lorsqu’un enfant n’arrive pas à apprendre dans un cadre conventionnel, je crois que notre rôle est de lui offrir une façon de le faire autrement.

 

Quels bénéfices avez-vous observés lors de vos interventions en plein air?

J’avais lu sur les bénéfices associés aux interventions en plein air, mais les vivre est encore plus fort et convaincant.

Motivation et bien être

Photo : Stéphanie Bergeron

Les élèves arrivent heureux de venir en nature. Ils savent qu’ils viennent à leur séance en orthopédagogie pour travailler leurs défis et leur attitude est positive. Ils ont hâte de découvrir les activités sur le sentier. Ils apprécient pouvoir choisir le lieu où ils seront bien pour lire, écrire et se faire enseigner les notions ciblées.  

Curiosité et intérêt

À l’extérieur on se laisse charmer par les surprises que la nature a à nous offrir. Les élèves sont observateurs. Ils se mettent à remarquer les changements dans l’environnement et se questionnent sur ceux-ci. Cela engendre de beaux échanges et un intérêt à lire et écrire sur le sujet. Comme la curiosité est spontanée et que je ne connais pas tout sur la biodiversité, on note nos questionnements et on émet des hypothèses. Lors des rencontres suivantes, je peux mettre à leur disposition des lectures en lien avec ces sujets. Je les sens investis et en mission. Leur motivation devient intrinsèque et ils sont rayonnants.

Réponses aux besoins 

Plusieurs élèves avec qui je travaille ont un grand besoin de bouger. Avec eux, je privilégie des activités dans lesquelles ils peuvent utiliser leur énergie. Pour d’autres, leur besoin est d’arriver à se poser afin de trouver le calme intérieur nécessaire pour être réceptif aux apprentissages. Après une tâche exigeante au niveau intellectuel, les déplacements entre les activités les amènent à refaire le plein d’énergie cognitive avant l’activité suivante. 

Photo : Stéphanie Bergeron

Transfert des apprentissages

Les activités sensorielles étant très fréquentes, je constate que les notions travaillées restent mieux ancrées. Lorsqu’on arrive aux transferts des apprentissages dans des tâches plus formelles, les élèves me rappellent l’activité qu’on avait faite pour apprendre ces notions. Ils ont un vécu sur lequel s’appuyer.

Des bénéfices pour l’adulte

Ce ne sont pas que les élèves qui en profitent. En tant qu’intervenante, je ressens également de beaux bénéfices. Je me sens moins pressée et moins stressée, car je prends le temps d’observer la nature. Le rythme est différent, plus lent, mais je constate que je réussis à atteindre les mêmes objectifs pédagogiques avec mes élèves.  Ce qui est le plus merveilleux, c’est que je termine ma journée avec un sentiment de bien-être. 

Quels sont les principaux défis auxquels vous avez été confronté et comment les avez-vous surmontés?

Photo: Stéphanie Bergeron

Mon principal défi a été de trouver un équilibre entre mon rôle d’orthopédagogue et les principes de l’éducation par la nature. Comment permettre aux élèves d’apprendre par l’exploration et les jeux qu’ils initient alors que je dois travailler des objectifs académiques bien précis?  En milieu scolaire, c’était ma grande inquiétude. Comment arriver à aller dehors et voir toute la matière sans leur faire perdre de temps d’intervention?  Avec un horaire à la minute près, des élèves provenant de différentes classes, des déplacements, les toilettes et l’habillement… Cela me semblait bien compliqué.   

En vivant l’expérience autrement, chez moi, chez les élèves et dans les parcs, j’ai découvert que ce qui peut sembler être une perte de temps est en réalité un investissement de temps. Toutes les activités que je fais pourraient se vivre à l’école. Je crois que la clé de la faisabilité se trouve en grande partie dans l’organisation de l’horaire. Heureusement, j’ai une direction qui croit à la pédagogie par la nature. 

Comment se déroule une séance type d’orthopédagogie en plein air?

1. Accueil

Les séances sont d’une durée d’une heure. L’accueil se fait à l’extérieur. Les élèves arrivent habillés en conséquence. Je profite du moment d’accueil pour déterminer ce qui conviendra le mieux aux élèves en observant leur comportement ou en leur demandant ce qui serait approprié comme lieu pour apprendre.  Ils font de belles prises de conscience et leurs choix s’améliorent. Les activités que je prévois peuvent généralement être faites en plein air ou à l’intérieur. De légères modifications sont parfois nécessaires, mais j’essaie d’éviter de faire une double planification.

2. Le rappel des apprentissages

Cela se fait souvent sur le tableau en cœur, sur un tableau portatif effaçable, oralement.

3. L’activité de découverte

C’est souvent une activité active et sensorielle de type rallye, cherche et trouve, enquête ou une mission de détective. Par exemple, les élèves doivent lire des consignes, parcourir le sentier, marcher en forêt pour découvrir les indices qui les mèneront à la notion. Ils peuvent avoir des éléments de la nature à trouver, quelque chose à toucher, construire, assembler, sentir, observer… C’est toujours différent et assez rapide.

4. L’enseignement de la notion

Cela se fait selon les pratiques de l’enseignement explicite. Dans la forêt enchantée, chez moi, on retrouve des aires spécifiques à chaque type d’apprentissage.

5. La mise en pratique

Elle a lieu après la leçon. Je la présente fréquemment sous forme d’épreuves graduées à relever (modelage, pratique guidée, pratique autonome). Parfois, les défis sont accrochés au fil d’Ariane. D’autres fois, les élèves ont quelques minutes pour se créer un parcours qui peut ressembler à un jeu de société géant avec des éléments de la nature (branches, roches, traces dans la terre, éléments nature présents…). On y place les épreuves et ils les relèvent au passage.

6. La consolidation

Une dernière activité qui les amène à mettre en pratique les apprentissages faits au cours de la séance. Il s’agit souvent d’un jeu de société créatif et d’une lecture authentique.

7. Le rituel de départ

Il peut varier d’un élève à l’autre selon l’âge et les intérêts. Il s’agit d’une activité de gratitude. Certains s’arrêtent à l’affiche du « Merci avec le cœur » et font un remerciement à voix haute. Des élèves nomment simplement leur meilleur moment de la rencontre. D’autres enlacent leur arbre préféré. À la sortie de la forêt se trouve un tableau sur lequel j’invite les élèves à inscrire le code secret (l’objectif travaillé par exemple).

 

Quelques idées d’activités en orthopédagogie :

1. Le lapin de la conscience phonologique

Pour développer la conscience phonologique par exemple, j’ai un lapin qui nous montre juste ses oreilles, car il adore jouer avec les sons. Autour de lui, je laisse du matériel pouvant servir dans différentes tâches de conscience phonologique (gros rondins, bâtons, roches…)

2. Les farfadets du traitement alphabétique

Il y a aussi la mini forêt des farfadets pour travailler le traitement alphabétique. Ces petits personnages détiennent de bons trucs pour découvrir le code secret de l’alphabet.

3. L’ arbre des mots fréquents

J’ai également un arbre des mots fréquents auquel je suspends les mots à travailler. Je laisse souvent des lettres mobiles à proximité pour pouvoir écrire les mots. Les élèves peuvent les découvrir par le toucher, on peut cacher quelques lettres sous les feuilles et deviner les lettres manquantes, on peut écrire le mot dans la terre à l’aide d’un bâton, on peut jouer à épeler les mots en se lançant une balle de neige… Les possibilités sont infinies.

4. L’arbre des mots irréguliers

Un peu plus loin, on retrouve l’arbre des mots irréguliers avec les animaux « irréguliers » qui l’habitent. Chaque fois qu’on veut apprendre un mot, on l’écrit et on l’accroche. Malheureusement, la pluie et la neige nous jouent des tours et effacent nos mots. Il faut donc trouver des trucs pour les garder en mémoire.

5. Le ruisseau de la fluidité

C’est sur le bord du ruisseau que j’enseigne et travaille les composantes de la fluidité. Les activités sont souvent précédées d’une activité de pleine conscience en lien avec l’écoute du ruisseau. Les élèves m’ont même appris que le ruisseau est fluide. Il est exact puisqu’il suit bien son chemin. Il est juste assez rapide pour qu’on l’entende bien et il a de l’expression. Génial, non?

6. Les plumes d’écriture

Pour pratiquer l’écriture, j’ai des plumes auxquelles on donne des pouvoirs magiques. Les élèves sélectionnent la plume reliée à leur défi et nous trouvons un endroit confortable pour écrire. C’est souvent dans la cabane qu’on s’installe.

Que suggériez-vous pour celles et ceux souhaitant débuter l’orthopédagogie en plein air ?

Photo : Stéphanie Bergeron
  • Écouter sa petite voix intérieure. Si vous pensez à l’orthopédagogie en plein air et que ça vous travaille un petit peu, je vous invite à essayer tout simplement. Le moment idéal pour le faire n’existe pas, alors tout est possible dès maintenant.
  • Fixer des attentes réalistes. On ne commence pas tout de suite par une activité pédagogique. Juste le fait de sortir de l’école et de se rendre à l’endroit convenu dans la cour est une activité en soi. S’y installer pour y faire la lecture est une réussite!
  • Oser vivre une activité de pleine conscience avec vos élèves comme se coucher sur le dos, regarder le ciel, fermer les yeux et écouter les bruits de la nature. À la fin de la sortie, vous serez sûrement surpris des réponses que vos élèves vous donneront si vous leur demandez ce qu’ils ont apprécié, ce qu’ils aimeraient refaire et ce qu’il faudrait faire mieux la prochaine fois.
  • Refaire d’autres sorties en ajoutant toujours un élément de plus. Peut-être aurez-vous envie de reproduire en nature, ce que vous faites dans votre bureau? Il faut se rappeler que juste le fait d’être en plein air apporte des bénéfices.

Il n’y a donc pas de mauvaises façons. Avec le temps, votre pratique évoluera probablement vers une pratique par la nature. Il faut respecter qui nous sommes et ce que nous sommes confortables de vivre avec nos élèves.

L’ouverture et la flexibilité sont des qualités à développer pour pouvoir en profiter pleinement.

 

Qu’envisagez-vous pour la suite de votre projet?

J’aurais envie de comparer mon projet aux saisons. J’ai vécu le printemps qui représentait la période d’un renouveau pour moi. Mon projet est né, il a pris vit, il a grandi, fleurit et il a pris sa couleur. Ensuite a débuté l’été, la période de croissance et d’épanouissement. Ce temps ensoleillé qui remplit de joie et qui énergise. Je dirais que j’en suis là! Je n’ai pas encore atteint la pleine maturité de cette belle saison qu’est l’été. Pour la suite, je sais qu’il y aura l’automne, une période de changement et d’adaptation que j’aurai à vivre lorsque je retournerai dans le système scolaire afin de continuer à pratiquer l’orthopédagogie en plein air.

J’espère avoir pris assez d’expérience pour être en mesure de propager mes découvertes comme les plantes le font pour leurs semences. J’aimerais bien semer mon projet au grand vent pour que plusieurs orthopédagogues se lancent et permettent aux élèves d’apprendre autrement. Après l’automne arrivera la saison hivernale qui représente la fin d’un cycle. Celle-ci apporte souvent le désir de se reposer et de se retrouver. Ce sera le moment idéal pour faire le point sur mon projet et mieux repartir dans le cycle des saisons. Je sais intérieurement que la pédagogie par la nature fera désormais partie intégrante de ma pratique.

Merci à nos partenaires!