Auteur(e)s : Entrevue par Julie Moffet (Fondation Monique-Fitz-Back) avec Marie Chamberland (la Classe Nature)
Tu es enseignante au primaire dans les communautés autochtones nordiques du Québec depuis maintenant 5 ans. Peux-tu nous parler un peu de ton parcours des cinq dernières années?
Tout a commencé lors de la fin de mon baccalauréat en enseignement. Prise entre mes dettes d’études et mon envie de voyager, l’idée d’enseigner dans des régions éloignées du Québec m’est venue. C’est grâce à une amie, Catherine Drouin, qui a publié une offre d’emploi de l’Institut Tshakapesh, une organisation qui gère plusieurs écoles Innus de la Basse Côte-Nord, que j’ai eu l’appel du Nord et des communautés autochtones. Après plusieurs appels d’écoles intéressées, mon choix s’est arrêté à Unamen Shipu (La Romaine), où j’ai rapidement sentit que ce serait un endroit fantastique pour ma première année. J’ai enseigné durant l’année au primaire, où j’ai été spécialiste de langue seconde pour les élèves de la 3ème à la 6ème année. Je faisais de la guitare, j’explorais le monde de l’enseignement tranquillement, étant à ma première année dans une classe, seule.
Ce ne fut pas toujours facile, mais j’ai vécu de magnifiques défis et de merveilleuses rencontres. La communauté, les enfants, le Nord … tellement de raisons faisaient en sorte que j’étais mitigé à l’idée de quitter cette communauté nordique. C’est pourquoi après ma première année, je suis allée dans une autre communauté, Chisasibi, où j’enseigne maintenant depuis 5 ans. J’ai enseigné principalement au 3ème cycle, et j’ai également été conseillère pédagogique durant une année, dans différentes communautés sur le territoire cri de la Baie James. Puis, j’ai accepté un nouveau défi au secondaire pour la prochaine année scolaire; Histoire/Géographie Secondaire 1 et 2, avec un complément de tâches en arts plastiques.
L’enseignement extérieur, par la nature et le plein air, semble faire partie intégrante de ton approche. Le nom de la page Facebook que tu animes, La Classe Nature, en dit long sur ta passion pour l’éducation en plein air. Parle-nous de ta classe Nature et de ta vision pour celle-ci.
Je dois avouer que le nom m’est venu un peu tout seul, mais principalement parce que je souhaitais créer un environnement de classe qui se tourne le plus possible vers le « naturel » qu’on retrouve à l’extérieur. Il n’est pas toujours simple d’enseigner à l’extérieur ici, principalement parce que l’hiver est long, et parce que les élèves ne sont pas toujours habillés adéquatement pour qu’on puisse rester dehors assez longtemps. On va quand même bouger à l’extérieur au moins une fois par jour et on essaie de trouver des activités qui sont réalistes en fonction de la température, mais ce n’est pas régulier qu’on puisse aller à l’extérieur pour l’enseignement. Si on a accès à un tipi ou à un camp, c’est également toujours plus simple.
Inviter des aîné.e.s pour qu’ils puissent transmettre leurs savoirs est aussi un élément clé lorsqu’on veut créer des activités à l’extérieur. Ça calme rapidement les élèves et ils sont beaucoup plus attentifs.
Je pense qu’un rêve que j’aurais serait d’avoir littéralement une classe dans un tipi. C’est apaisant, c’est familier et c’est chaleureux. Les élèves s’y reconnaissent et je pense que ce serait vraiment réaliste.
Quelles sont les particularités de l’éducation en plein air dans une communauté autochtone? Et dans le Nord?
Comme mentionné, je dirais que la température et l’habillement des élèves est un élément clé à considérer pour ça fonctionne et pour que les élèves soient investis dans leurs apprentissages. Tout dépendant de l’endroit où nous souhaitons aller, il faut aussi se préparer en conséquence. Si c’est loin, il faut avoir du matériel de survie, un téléphone satellite, du répulsif à ours, etc. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans un environnement sauvage et donc être prudent. Aussi, nous avons tendance à penser que les élèves seront énormément motivés par de l’enseignement en plein-air alors que ce n’est pas toujours le cas : il faut d’abord avoir un très bon lien de confiance avec eux avant de faire des projets comme ceux-là.
La nature est également différente de ce qu’on peut retrouver plus au sud, et c’est la beauté du Nord: de découvrir toutes ces nouveautés sauvages et même de pouvoir se les faire enseigner par ses élèves!
Peux-tu nous donner des exemples de savoirs et connaissances reliés à la Nature et au plein air que les élèves autochtones apprennent?
Principalement l’utilisation des plantes à des fins médicinales, mais également la préparation des animaux chassés. Les élèves ont des cours de culture crie durant l’année, mais à chaque jour ils ont des cours de langue crie où ils parlent de leurs traditions et où les enseignants partagent et enseignent leur culture. Je n’ai pas toujours compris tout ce qu’ils font, mais de façon général, il y a beaucoup de discussions autour de la préparation de la viande de chasse des animaux de la région.
Comment les enseignants du Sud qui pratiquent l’enseignement extérieur pourraient s’inspirer des pratiques d’éducation en plein air du Nord?
Je pense qu’à la base, les enseignants doivent comprendre et s’informer davantage sur l’histoire et le passé autochtone. Ils pourraient même aller en territoire autochtone avec les élèves pour mieux comprendre leur propre territoire sur lequel ils sont. Ces gens de différentes communautés ont des connaissances assez extraordinaires qui méritent d’être exposées et davantage connues. Ils sont souvent beaucoup plus outillés qu’on puisse le penser.
Quelles activités extérieures ou classes extérieures animes-tu régulièrement ? Certaines activités sont-elles planifiées longtemps d’avance?
À chaque jour, je me prévoyais un moment pour aller jouer dehors avec les élèves. Il n’y avait pas d’activités précises de prévue, c’était seulement un excellent moyen pour qu’ils puissent décompresser et pour qu’on puisse avoir du plaisir tout le monde ensemble; le ballon-balai et le hockey étaient aussi deux sports de prédilection qui étaient toujours très appréciés des élèves! Il m’arrivait d’apporter des cartons de tables de multiplication, de placer les élèves en file et de faire des duels pour voir qui répondait le plus rapidement. J’apportais aussi apporter des tableaux effaçables pour leur poser des questions et les faire répondre sur les tableaux. Les périodes de lecture à l’extérieur étaient aussi de beaux moments. Par contre, ces 3 types d’activités se faisaient lorsqu’il n’y avait pas de neige.
Pourrais-tu nous parler d’une expérience d’éducation en plein air coup de cœur?
Au mois d’octobre, lorsque les bleuets et les fruits sortent, on demandait aux élèves de prendre en photo et de cueillir différentes branches, plantes et herbes qu’on plaçait dans un herbier collectif. On prenait des photos, on en discutait, et on invitait un aîné pour avoir davantage d’information.