Auteur(e)s : Lucie Boutin, Isabelle Chevalier et Yannick Lacoste
Résumé
En 2018 et en 2019, les écoles Jardin-des-Lacs (commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke) et Laurentide (commission scolaire Marguerite-Bourgeoys) ont entrepris un programme d’échange entre leurs élèves de 6e année.
Deux écoles différentes sur le plan culturel et géographique, mais deux écoles qui ont un programme qui se ressemble, celui de faire vivre des activités de plein air à tous leurs élèves.
Cet article vise à raconter les moments réjouissants que cet échange a fait naître, mais aussi à faire connaître l’organisation et les principes pédagogiques sous-jacents à une telle aventure.
Présentation des deux écoles participantes
L’école Laurentide est située au cœur de Montréal. Ses voisins à l’arrière représentent un alignement d’immeubles à condos. Un peu plus loin, c’est une usine de métaux longeant la voie ferrée clôturant le paysage. Les élèves de l’école Laurentide, située en milieu défavorisé, sont issus à 94 % de près de 35 communautés culturelles différentes dont les plus représentées sont celles du Moyen-Orient (1,2). L’école Laurentide a initié un projet à visée éducative en plein air, en santé et en environnement en 2016 (le PASE). Il prévoit une fréquentation régulière des lieux à l’extérieur des murs de l’école à raison d’une journée chaque deux semaine. Les élèvent évoluent principalement dans un environnement de proximité (près de l’école, grands parcs municipaux) mais aussi en milieu naturel.
L’école Jardin-des-Lacs de St-Denis-de-Brompton est située en banlieue de Sherbrooke, un milieu rural et favorisé (2). L’école n’a pas de voisins à l’arrière, c’est plutôt une petite forêt traversée de quelques sentiers qui tient lieu de bordure. À sa droite, par contre, il y a l’aréna du village, ses terrains de soccer, de tennis et de baseball. Les élèves sont principalement issus de familles francophones non-immigrantes. L’école Jardin-des-Lacs fait partie des écoles Santé Globale dont le programme est axé entre autre sur des activités physiques réalisées en plein air.
Chaque année, les élèves de 6e année se soumettent à une solide préparation autant physique que mentale afin de réaliser une expédition : l’ascension du Mont Washington ! Cette expédition de trois jours est vécue comme un rituel : le passage du primaire vers le secondaire. Ils en sortent transformés. Il faut dire que de la maternelle à la 6e année, tous partent en randonnée pédestre avec un degré de difficulté adapté à leur niveau.
La petite histoire du projet
Les bases étaient jetées pour créer une situation pédagogique à haut potentiel d’apprentissage et les enseignants y ont vu une occasion à exploiter. Ils ont donc organisé un échange interculturel pour favoriser le partage entre leurs élèves tout en permettant de pratiquer des activités de plein air propre à chacune des écoles. Un appel téléphonique a suffi :
– Bonjour Lucie. Ça te dirait de faire un échange interculturel avec nos élèves de 6e année ?
– …
– C’est très simple. Les élèves de St-Denis pourraient montrer aux élèves de Laurentide à faire du plein air autour de leur école en février.
– En février ?
– Oui. On veut voir de la neige.
– …
– Et les élèves de St-Denis viendraient prendre le métro et goûter la nourriture multiculturelle cuisinée par notre communauté de parents. Tu en penses quoi ?
– Super idée. J’en parle à mes profs !
Le projet a débuté par un premier contact en visioconférence entre les élèves. Les tableaux interactifs en marche dans chacune des classes, les élèves ont pu se voir et se présenter. Puis, ils ont entamé une correspondance écrite assidue. Le projet s’est terminé lorsque chaque école a fait un voyage de deux jours, visitant leurs correspondants, responsables d’organiser des activités pour leurs invités.
Des apprentissages et des souvenirs pour la vie
À Saint-Denis, les élèves montréalais ont joué au hockey pour la première fois, ont fait des maisons dans la neige, ont pratiqué le ski de fond et de la raquette, appris des notions de survie en forêt (située à deux pas de l’école), combattu le froid extrême, admiré un magnifique ciel étoilé sans pollution lumineuse, mangé pour la première fois de la tire sur la neige et ont dormi dans une école qui n’est pas la leur.
À Montréal, les élèves de St-Denis ont pris l’autobus tout en étant debout pour la première fois de leur vie, ont participé à une randonnée urbaine via le Mont-Royal avec capsules historiques préparées et présentées par les élèves montréalais, ont pris le métro (nous avons eu droit à de grands yeux écarquillés), ont regardé un ciel traversé par les avions, ont dégusté un repas multiculturel préparé par les familles et ont dormi dans une école qui n’est pas la leur.
La première année, 100 élèves de 6e année des deux écoles ont été bénéficiaires de ce projet. Même si 13 élèves n’ont pas participé aux visites, tous ont correspondu par écrit.
La deuxième année s’est malheureusement interrompue après la visite des élèves de l’école Laurentide à Saint-Denis à la fin du mois de janvier à cause de la fermeture des écoles, situation attribuable à la pandémie du COVID19.
Rassembler les gens de sa communauté autour de son projet
Plusieurs recherches récentes démontrent les impacts positifs du contact avec la nature sur la santé de nos jeunes (3,4). En intégrant de manière régulière le plein air dans la vie scolaire des enfants et en proposant des activités pédagogiques, liées au curriculum, se vivant à l’extérieur, nous travaillons à contrer ce que Richard Louv, auteur de Last Child in the Wood, a nommé le déficit nature (5). La recherche démontre également qu’il y a un manque de relations et d’échanges entre les élèves de différentes cultures et que ces relations sont déterminantes afin de développer les bonnes attitudes liées au vivre-ensemble (6).
Unissant leur travail, les huit enseignants des deux écoles ont réussi à sensibiliser leur communauté, parents et directions d’école, de l’importance de contribuer à cette vision pédagogique en plein air par un échange entre les cultures, permettant ainsi de faire vivre aux enfants une forme de classe nature à moindre prix. Ainsi, les parents et les directions se sont aussi mobilisés pour faire de ces visites des moments mémorables pour les élèves.
Les parents des élèves ont aussi bénéficié de cet échange : en acceptant de laisser partir leur enfant dans un lieu différent du leur, encadrés par leurs enseignants bien connus, ils ont été témoins des bienfaits de ce projet sur leur enfant. Finalement, la population des deux écoles hôtes, autant les élèves que le personnel de celles-ci, s’en est trouvée bénéficiaire grâce aux contacts avec ses invités différents qui, finalement, n’étaient pas si différents !
Perspectives futures du projet
En 2018-2019, le projet d’échange culturel était d’abord un projet-pilote afin d’en évaluer la faisabilité. Face aux réactions des élèves et aux discussions suscitées, les enseignants ont entrepris de vivre l’expérience pour une deuxième année. Cette fois, d’autres activités se sont ajoutées. Par exemple, à Saint-Denis, les élèves ont appris quelques rudiments du dessin de perspective en s’exerçant à représenter graphiquement une ville. Pourquoi ne pas dessiner Montréal ? Avec les informations reçues dans les correspondances, ils ont pu ajouter quelques détails sur leurs œuvres.
Pour faire évoluer le projet, il faut se poser la question : Est-ce suffisant de mettre en relation deux groupes d’élèves distincts pour faire naître des apprentissages de divers ordres et diverses disciplines? Que faut-il mettre en place pour mieux soutenir les apprentissages? Les enseignants tentent de répondre à ces questions afin de faire évoluer le projet. Ils souhaitent aussi trouver des façons pour impliquer davantage les parents, afin qu’eux aussi puissent bénéficier de cette expérience et entrer en relation avec des personnes de cultures différentes.
Enfin, dernier souhait : assurer la pérennité du projet, le faire durer malgré la tâche et l’énergie à déployer pour tout mettre en place. Nous croyons qu’il serait profitable de promouvoir ce genre d’échange dans les écoles québécoises afin de permettre l’épanouissement de futurs citoyens écoresponsables dans le vivre ensemble de notre société pluraliste. Afin faciliter la mise sur pied de ce genre de projet, nous recommandons qu’une aide des instances publiques (ex. ministère de l’immigration, ministère de l’éducation) sur le plan pédagogique, logistique, promotionnel ou financier soit déployée.
En conclusion
Les élèves des deux milieux ont été touchés de bien des façons. En plus d’être pleinement engagés dans diverses activités scolaires et académiques, ils ont tissé des liens entre eux, au-delà de tout ce qui les séparait : genre, religion, origine ethnique, milieu de vie. Nous avons senti une grande ouverture dans tous les moments de ce projet.
Les différences perçues par les élèves ont permis d’avoir des discussions intéressantes. Pour les élèves de Montréal, ce fut une belle occasion de raconter leur parcours migratoire. Nous pensons que cela a contribué grandement, pour ceux-ci, à se percevoir vraiment comme les québécois qu’ils sont devenus.
À l’école Jardin-des-Lacs, des discussions passionnantes sont nées de cette expérience. Plusieurs ont été frappés par les ressemblances entre les groupes. Certains ont mieux compris ce qu’est la défavorisation et ont réussi à mieux identifier leurs sentiments face à ce phénomène. Nous pouvons raisonnablement penser que nous avons stimulé chez nos élèves l’envie de rencontrer d’autres gens ou de visiter des milieux étrangers, différents du leur et que cette motivation est une prémisse à un désir de vivre-ensemble dans un climat de paix et de coopération. Nous pouvons aussi croire que la diffusion d’une telle expérience permettrait de faciliter l’éclosion d’autres projets semblables.
Même leurs enseignants en ont bénéficié, vivant une expérience de «tourisme scolaire» très enrichissante leur permettant de vivre la profession dans un milieu complètement différent et d’avoir des échanges professionnels très riches. Ces échanges professionnels se sont transformés en amitié. Et tout cela, sans dépenses de fonctionnement faramineuses ! Bien hâte de reconduire ce projet l’année prochaine.
À propos des auteur.e.s
- Lucie Boutin, Enseignante d’ÉPS – École Jardin-des-Lacs – Commission Scolaire de la Région-de-Sherbrooke.
- Isabelle Chevalier, Enseignante 6e année – École primaire Laurentide – Commission Scolaire Marguerite-Bourgeoys.
- Yannick Lacoste, Enseignant d’ÉPS – École primaire Laurentide – Commission Scolaire Marguerite-Bourgeoys.
Références
1. CGTSIM. Portrait socioculturel des élèves inscrits dans les écoles publiques de l’île de Montréal, Inscriptions au 10 novembre 2016. In: Montréal CdgdltsdlÎd, ed. Montréal2017.
2. Québec. Indices de défavorisation des écoles publiques, 2018-2019: Écoles primaires et secondaires. In: Ministère de l’éducation et de l’enseignement supérieur, ed. Montréal2019.
3. Mygind L, Kjeldsted E, Hartmeyer R, Mygind E, Bølling M, Bentsen P. Mental, physical and social health benefits of immersive nature-experience for children and adolescents: a systematic review and quality assessment of the evidence. 2019.
4. Québec. Au Québec, on bouge en plein air : Avis sur le plein air. In: Ministère de l’éducation et de l’enseignement supérieur, ed. Québec: Bibliothèque et Archives nationales du Québec; 2017:74.
5. Louv R. Last child in the woods: Saving our kids from nature deficit disorder. In: Algonquin Books New York, NY; 2005.
6. Mc Andrew M, Balde A, Bakhshaei M, et al. La réussite éducative des élèves issus de l’immigration. Les Presses de l’Université de Montréal; 2015.