Auteur(e)s : Entrevue avec l'ergothérapeute Valérie Ferron réalisée par la Fondation Monique-Fitz-Back
Photo: Valérie Ferron
Présentation
Valérie Ferron a obtenu son diplôme en ergothérapie à l’Université McGill en 2011. Elle a travaillé pendant 7 ans en clinique privée en pédiatrie avant de voyager en Asie pendant 13 mois, une expérience qui lui a permis de réfléchir à sa pratique. À son retour, elle a choisi de se tourner vers l’interdisciplinarité et de suivre son intérêt à travailler auprès des Premières Nations.
Depuis 2019, elle travaille avec une diversité de professionnels auprès des enfants à Manawan dans un centre de pédiatrie sociale et à Joliette en collaboration avec le centre d’amitié autochtone de Lanaudière. Valérie met de l’avant l’approche par la nature dans sa pratique en ergothérapie. Son amour pour la nature et cette approche l’on conduit également à se spécialiser en réalisant un AEC en écoéducation par la nature.
Depuis quelques années vous avez entrepris des démarches pour intégrer davantage la nature au cœur de votre approche d’ergothérapeute. Qu’est-ce qui vous a mené à intégrer cette approche dans votre pratique ?
L’un des modèles de pratique en ergothérapie est le PEO. Il met l’accent sur l’interaction entre différents concepts : personne / environnement / occupation. La personne représentant l’enfant, tandis que le jeu est l’une des occupations fondamentales. Quant à l’environnement, il ne se limite pas seulement à des lieux fermés comme la maison, le service de garde ou l’école, ni même aux personnes qui entourent l’enfant. Il inclut aussi l’environnement extérieur.
J’ai adopté cette approche car les milieux naturels jouent un rôle essentiel dans le développement sensoriel, moteur et émotionnel des enfants. En les exposant davantage à la nature, je cherche à enrichir leur expérience sensorielle et à promouvoir un développement global. Cette méthode m’a permis de constater une amélioration notable dans leur capacité à explorer et à apprendre de manière autonome, confirmant l’importance de l’environnement naturel dans leur croissance et leurs apprentissages.
En quoi consiste le projet d’immersion nature que vous avez mis en place cette année en collaboration avec le centre d’amitié autochtone de Lanaudière?
Le projet a plusieurs volets. Il a débuté à la suite d’un mandat d’évaluation en ergothérapie. Plusieurs enfants du Centre d’amitié autochtone de Lanaudière (CAAL) ont été référé en raison de difficultés de motricité, difficultés scolaires ou à la maison. Les premières évaluations soulevaient toutes un portrait plus ou moins similaire : un manque d’exposition au mouvement et aux activités sensori-motrices.
Plusieurs partenaires se sont mis de la partie : la Co Clinique de réadaptation et de formation, le Centre d’amitié autochtone de Lanaudière et l’école primaire Des Mésanges à Joliette. Un avant-midi à toutes les deux semaines, plusieurs enfants autochtones nous accompagnent en forêt (ma collègue Mélanie Champagne, éducatrice spécialisée et moi-même) afin de vivre des expériences d’immersion en nature.
Nos objectifs sont de favoriser le développement des habiletés sensorimotrices, de l’autonomie, d’autorégulation et d’habiletés sociales à travers des activités de groupe en forêt. À chaque rencontre, des activités plus structurées sont proposées (par exemple, chasse aux traces d’animaux, construction de tipi, créations artistiques, etc.), mais les enfants y participent seulement s’ils en ont envie.
Outre les activités structurées, ils sont libres d’explorer la forêt en mode « jeu libre » ! De-là naissent des scénarios, des jeux de poursuite, de cachette, des parcours moteurs, et autres. Du matériel est généralement mis à leur disposition : économe, couteau Swiss, crayons, cordes, et autres afin de leur permettre de réaliser leurs projets. À ce jour, 3 autres écoles se sont jointes au projet d’immersion nature. Nous allons aussi en forêt avec les enfants de 4-5 ans qui fréquentent le milieu de garde du CAAL. Pour les petits, les sorties se font un avant-midi par semaine et nous sommes accompagnées de leurs éducatrices. Les objectifs sont semblables, mais les activités sont adaptées à l’âge et au niveau de fonctionnement.
Pouvez-vous nous partager les activités pédagogiques coup de cœur que vous avez réalisé en nature avec des enfants ?
Chasse au trésor sensorielle : Cette activité implique une exploration de la nature où les enfants doivent trouver des objets naturels en utilisant différents sens comme la vue, le toucher, l’odorat et l’ouïe. Par exemple, trouver quelque chose de doux, quelque chose qui fait du bruit quand on le secoue, ou quelque chose avec une odeur particulière. Cela encourage les enfants à interagir de manière plus profonde avec leur environnement naturel. Par exemple, ce bingo d’été d’Enseigner dehors.
Construction de cabanes : Les enfants adorent construire des cabanes avec des branches, des feuilles et d’autres matériaux trouvés sur le sol de la forêt. Cette activité stimule leur créativité et leurs compétences en résolution de problèmes, tout en renforçant leur motricité fine et globale.
Journaux de nature : Encourager les enfants à tenir un journal où ils peuvent dessiner ou écrire sur les plantes, les insectes et les animaux qu’ils observent. Cette activité les aide à développer leurs compétences observationnelles et leur compréhension de l’écosystème local.
Parcours d’obstacles naturels : Créer un parcours d’obstacles en utilisant des rondins, des roches et des pentes naturelles pour encourager les enfants à utiliser leur corps de manière coordonnée et réfléchie. C’est aussi une excellente façon de développer leur équilibre et leur coordination.
Quels sont les principaux bienfaits observés lors de vos activités en plein air ? Croyez-vous que cela contribue à leur préparation pour l’entrée à l’école ?
Je vais être honnête, je ne suis pas très à l’aise avec le terme « préparation pour l’entrée à l’école » parce qu’à mon avis l’école n’est pas une finalité en soi, mais chaque étape du développement est importante. Je dirais plutôt « Est-ce que cela facilite les apprentissages chez l’enfant ? ». À mon avis, certainement.
De plus, la « préparation à l’école » ne se prévoit pas quelques mois avant l’entrée scolaire, mais bien dès la naissance ! En ce sens, dès le plus jeune âge, l’enfant doit être exposé à des stimulations sensorielles qui l’aideront à développer ses capacités motrices, cognitives, et socio-émotionnelles. Ces compétences sont essentielles pour qu’il puisse s’adapter et réussir dans un environnement scolaire, mais elles sont également cruciales pour toutes les étapes de sa vie.
Les interactions quotidiennes, le jeu, l’exploration et les expériences vécues dans divers environnements, y compris naturels, contribuent de manière significative à « préparer l’enfant pour l’école », en lui offrant une solide fondation pour son développement futur. Les expériences sensorielles et motrices agréables constituent les fondations essentielles pour le développement de nouveaux apprentissages. Un environnement naturel comme la forêt offre une multitude d’opportunités permettant de réaliser ces expériences !
Sur votre site, vous mentionnez l’importance du jeu libre et du jeu risqué pour le développement des enfants. Comment ces pratiques s’intègrent-elles dans votre approche ?
Je souligne l’importance du jeu libre et du jeu risqué car ils jouent un rôle crucial dans le développement de l’enfant. Le jeu libre permet aux enfants d’explorer leur environnement, de prendre des initiatives et de faire preuve de créativité sans directives spécifiques, ce qui favorise le développement de leur autonomie et de leurs compétences de résolution de problèmes. Quant au jeu risqué, il favorise le développement de la confiance en soi et de la capacité à évaluer et à gérer les risques.
Dans ma pratique en ergothérapie pédiatrique, ces éléments s’intègrent parfaitement à l’approche centrée sur l’enfant. J’encourage ces types de jeux dans un environnement sécurisé où l’enfant peut tester ses limites physiques et cognitives. Cela lui permet non seulement de mieux connaître ses propres capacités et limites, mais aussi de stimuler son développement moteur et sensoriel de manière significative. Cette approche favorise une croissance holistique en préparant l’enfant à faire face à diverses situations de manière indépendante et confiante.
Outils téléchargeables créés par Valérie Ferron
Quels conseils pratiques donneriez-vous aux enseignant·es pour soutenir et renforcer les bénéfices de l’ergothérapie nature ?
Je vais m’en tenir à un conseil, puisque je crois que c’est ce que j’aimerais qui ressorte aujourd’hui : Créez des opportunités pour les enfants de bouger !
Dans notre société qui devient de plus en plus sédentaire, ces opportunités sont cruciales. Le mouvement chez les enfants ne devrait pas être perçu uniquement comme une activité plaisante ou comme une simple « pause » pour passer le temps.
Il est vital de trouver des moyens d’intégrer l’exposition aux activités sensorimotrices, y compris le mouvement, dans le quotidien des enfants. Je sais que le programme scolaire est déjà très chargé, mais si les enfants ne sont disposés à apprendre, les enseignements qui seront faits ne seront pas des plus efficaces. Il est donc essentiel de développer les bases nécessaires aux apprentissages académiques.
Un enfant qui n’a pas une bonne intégration de ses sens pourrait rencontrer des difficultés en lecture, en écriture, à rester attentif en classe ou à réguler ses émotions. Par conséquent, intégrer le mouvement dans les activités quotidiennes n’est pas seulement bénéfique, mais indispensable pour le développement intégral de l’enfant !
Comment voyez-vous l’avenir de l’ergothérapie en nature et quels changements espérez-vous susciter dans la façon dont nous accompagnons les enfants dans leur développement ?
Je vois l’avenir de l’ergothérapie en nature comme étant très prometteur, avec un potentiel croissant pour transformer la manière dont nous soutenons le développement des enfants !
En intégrant davantage la nature dans notre pratique, nous pouvons offrir aux enfants des expériences de développement plus riches et plus diversifiées qui stimulent tous leurs sens. Cette approche n’est pas seulement bénéfique pour leur bien-être physique et mental, mais aussi pour leur développement émotionnel et cognitif. Mon souhait est que nous visions des enfants heureux et épanouis et n’ont pas seulement des enfants « fonctionnels ».
Je souhaite susciter des changements dans la manière dont nous accompagnons les enfants, en plaçant un plus grand accent sur les environnements extérieurs comme espaces thérapeutiques naturels. Par exemple, encourager les écoles, les centres de soins et les familles à intégrer des périodes de jeu en plein air et des activités en nature dans les routines quotidiennes.
De plus, j’espère voir une collaboration accrue entre les ergothérapeutes, les éducateurs et les urbanistes pour créer des environnements plus inclusifs et accessibles qui encouragent le mouvement naturel et l’exploration. L’objectif serait de concevoir des communautés qui valorisent et intègrent les espaces verts, non seulement pour les loisirs mais aussi comme partie intégrante de l’éducation et de la thérapie.
Enfin, je voudrais que l’importance du développement sensorimoteur et de la nature dans le développement de l’enfant soit reconnus non seulement par les professionnels de la santé, mais aussi par la société dans son ensemble.
Je souhaite que cette approche puisse devenir une norme plutôt qu’une exception.
Quels sont vos projets à venir dans la prochaine année ?
Actuellement, je me consacre à faire reconnaître l’importance du développement sensorimoteur et de l’ergothérapie auprès des enfants. Que ce soit via les réseaux sociaux sur ma page Facebook Valérie Ferron, ergothérapeute ou par des formations sur mon site web https://valerieferronergo.com/. J’espère rendre ces sujets de plus en plus connus et accessibles à tous.
Je prévois également de poursuivre les immersions en nature avec le centre d’amitié autochtone de Lanaudière. Nous organisons un camp de « préparation à la maternelle » (faute de trouver un meilleur terme) en nature, ainsi qu’un camp de « préparation à la première année » pour les jeunes du CAAL. Je continue aussi ma collaboration avec les éducatrices du centre de pédiatrie sociale de Manawan, pour qu’elles puissent offrir des services aux enfants, notamment dans une approche d’agent de stimulation en psychomotricité.